J’ai une petite histoire à vous raconter.
Bien souvent, on entend que les chiens de travail ne devraient être entraînés qu’à une seule discipline. Par exemple, un chien de troupeau ne devrait pas faire d’agility. Les comportements enseignés dans une discipline seraient forcément incompatibles avec l’autre. Il est en effet possible que certains conditionnements créés pour le besoin d’une discipline particulière compliquent l’apprentissage de comportements propres à une autre discipline. Je pense cependant que, tout comme nous, plus un chien apprend de nouvelles choses, et plus cela augmente son adaptabilité et sa débrouillardise. Voici l’exemple d’une situation vécue récemment, qui m’a démontré que pratiquer plusieurs disciplines avec son chien pouvait avoir du bon !
Sirius est un chien de troupeau. Depuis quelques semaines, lui et moi découvrons aussi le mantrailing, que je n’avais encore jamais pratiqué. C’est une discipline très intéressante dans laquelle Sirius se montre motivé, calme et minutieux (bien plus réfléchi qu’au troupeau, en tout cas 😉 !). Il apprend très vite et je prends plaisir à pister avec lui.
Bref, jeudi soir dernier, je reçois un appel en début de soirée : mes béliers se sont échappés de leur pré. Ni une ni deux, je prends mon chien et je saute dans mon fourgon. Je n’arrive pas à le croire : ils ne se sauvent jamais, c’est arrivé une seule fois presque un an auparavant parce qu’un chien errant les avait poursuivis. C’est sûrement ce qui s’est produit encore cette fois ! J’enrage en pensant aux personnes qui ne contrôlent pas leur chien : les conséquences peuvent être dramatiques, il y a une route à 90km/h à cinquante mètres du pré de mes béliers. Un chien seul en liberté est un danger public, ni plus ni moins.
Arrivée sur place, je constate que mes moutons ont cassé leur clôture électrique qu’ils respectent sans souci habituellement. Ils ont vraiment dû paniquer. Mon stress est à son comble, je n’ai aucune idée de l’endroit où ils ont pu partir ! Le propriétaire du terrain se propose de m’aider et me demande par où je veux commencer les recherches : je n’en ai aucune idée. Mes béliers peuvent être partout. Je suis découragée par avance. La nuit va bientôt tomber, il y a peu de chances que je les retrouve avant.
Nous décidons de partir en voiture chacun de notre côté. Je contacte des personnes qui habitent le secteur et qui vont également patrouiller (je les remercie infiniment pour leur aide !). Pendant une heure, une heure trente, nous tournons, et la nuit approche. Lorsqu’il commence à faire vraiment sombre, nous capitulons : nous ne trouverons pas mes moutons. Le stress me donne mal au ventre et je sais que je ne vais pas fermer l’œil de la nuit. Dix moutons peuvent ravager un jardin, causer un accident grave en traversant une route, abîmer un champ de maïs… Mon angoisse est énorme de les savoir dans la nature.
Je me retrouve seule, et je décide d’aller faire un dernier tour, à pied cette fois-ci, près du bois qui se trouve de l’autre côté de la route. Quand j’arrive sur le chemin qui borde le bois, Sirius met le nez au sol. Sans trop y croire, je l’encourage. Il me regarde, remet la truffe au sol, et semble suivre une piste qui mène droit dans le bois. Je le suis, mais vraiment en désespoir de cause. Lui a l’air confiant, il continue de pister et s’enfonce de plus en plus dans le bois. Je le suis tant bien que mal : il fait nuit noire et le sous-bois est de plus en plus difficile d’accès. Je me faufile parmi les ronces et les branches basses, et je me demande s’il ne se fiche pas un peu de moi. Je m’apprête à le rappeler pour rebrousser chemin, quand j’entends un bruit de branche cassée. Je n’ose y croire… Je m’approche de l’endroit où j’ai entendu le bruit, et que vois-je ? Mes dix béliers, tous serrés les uns contre les autres au milieu du bois ! J’ai envie de pleurer de soulagement. Je n’arrive pas à croire que Sirius m’ait menée droit à eux dans un endroit à la végétation aussi dense, généralement peu prisée des moutons. C’est un miracle !
J’embraye alors sur l’activité troupeau, et je demande à mon chien de me ramener les béliers. Ce n’est vraiment pas évident de les conduire dans un bois en pleine nuit, avec la simple lampe de poche de mon téléphone pour me guider. Je n’y vois rien et je ne suis même pas sûre de l’endroit où je vais. Les branches des arbres nous barrent la route à maintes reprises, et les cornes des béliers me rentrent dans les jambes quand Sirius s’approche trop et qu’ils me dépassent. Mais nous arrivons enfin à l’orée du bois. Enfin ! Il ne reste plus qu’à traverser la route à 90km/h. Nous profitons d’un moment où aucun véhicule n’est en vue (heureusement que nous habitons en Charente !) pour traverser et rejoindre l’autre côté. Plus que quelques dizaines de mètres et les moutons seront de retour dans leur pré !
Quand je fais passer le dernier bélier dans le pré, j’appelle Sirius et je le félicite chaudement. Je n’en reviens pas du service qu’il m’a rendu ! Je n’ai aucun doute quant au fait que, si je n’avais pas commencé à pratiquer le mantrailing, Sirius n’aurait pas suivi la piste des moutons avec autant d’assurance. Quant à moi, je n’aurais absolument pas cru en ses compétences de pisteur et je ne l’aurais pas encouragé comme je l’ai fait, ce qui l’a incité à continuer sur sa lancée. En tout cas, mon petit chien était ravi que je le félicite, même si après coup il ne savait pas vraiment pourquoi, et moi j’étais la plus heureuse d’avoir retrouvé mes moutons.
Alors… Peut-être bien que certains enseignements sont difficilement compatibles quand on pratique plusieurs disciplines canines. Mais je crois, à titre personnel, que plus on apprend de choses à son chien, plus on booste sa confiance en lui, plus on renforce le lien qui l’unit à nous, et plus il est capable de se sortir avec brio de situations diverses. Apprenez des choses à votre chien, faites-vous et faites-lui plaisir, et il vous démontrera dans bien des cas combien ces enseignements l’ont rendu astucieux et dégourdi.
Elsa Weiss / Cynopolis
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