Plus on travaille sur du bétail avec des chiens de berger, et plus on comprend qu’il est difficile de tirer des généralités sur ce qu’il convient d’appeler « un bon chien de travail ».
J’ai démarré le troupeau en 2018, parce que je venais de recueillir un Border Collie et que le milieu du pastoralisme m’avait toujours attirée. Je me suis laissée séduire par ce travail jusqu’à en faire un objectif professionnel. Je suis partie en alpage pour la première fois en 2020, seule avec mes chiens, et toutes les certitudes que je pensais avoir sur les chiens de troupeau se sont évanouies en quelques heures. J’ai appris énormément lors de cette première estive.
J’ai ensuite fait l’acquisition d’un petit Border de lignée travail sur lequel je misais tous mes espoirs. Je pensais qu’il serait facile de le former, puisque -c’est ce que je pensais- je connaissais désormais bien mon sujet. Seconde désillusion ! J’ai fait une quantité d’erreurs monumentales avec lui. Mon jeune chien a subi beaucoup trop de pression pour son jeune âge. Il n’a pas pu apprendre à aborder sereinement les moutons. Je travaillais déjà sur le terrain avec lui alors qu’il n’avait pas un an, et les missions qui lui étaient demandées étaient trop exigeantes pour lui, avec des terrains et des moutons pas toujours faciles, et une conductrice -moi- qui se mettait une pression monstre et faisait subir ce même stress à un chien pas encore mature, malgré sa motivation.
C’est d’ailleurs cette motivation énorme qui m’a amenée à lui en demander beaucoup trop : Sirius était tellement passionné qu’il était capable de subir une dose de pression phénoménale, mais par la suite, j’ai vu sa qualité de travail se détériorer, et j’ai compris que cette pression était extrêmement délétère pour lui. Il aimait profondément le travail sur le bétail, mais son processus d’apprentissage était totalement annihilé par le stress. Il n’arrivait pas à progresser, malgré des prédispositions génétiques indéniables. Il se mettait à mordre les moutons de plus en plus fort, pour évacuer son trop-plein de stress. Lorsque j’ai compris tout cela -et il m’a fallu du temps- j’ai mis fin à ces missions avec lui. J’ai décidé de me consacrer aux entraînements à la maison, sur mes moutons, et au travail d’estive. Je ne dis pas que tout est facile depuis, car Sirius reste un chien très explosif et qu’on n’efface pas en un claquement de doigts un mauvais départ dans la vie, mais je prends désormais plaisir à travailler avec lui. Et j’ai vraiment, mais alors vraiment, appris énormément grâce à lui.
Je m’égare cependant, et je m’en excuse. Il était toutefois important de « planter le décor » avant d’aborder le sujet que je souhaite traiter aujourd’hui. Qu’est-ce qu’un bon chien de berger ? La question est vaste. Tout d’abord, parce que ce qu’on appelle un « chien de berger » peut être un chien de protection, un chien de conduite et/ou un chien de rive, qui peut travailler sur des petits lots d’animaux, des troupeaux plus conséquents, des ovins, des caprins, des bovins, des oies ou des canards. Le terme « berger » désigne originellement les chiens qui travaillent sur troupeaux ovins, mais certaines races bergères sont capables d’être polyvalentes. Et un même chien peut être bon pour une tâche, et moins bon pour une autre.
Cet été, j’ai gardé un troupeau de trois-cents chèvres et brebis, particulièrement difficile à conduire. Le mélange chèvres et moutons ne facilite pas la tâche au chien car les deux espèces ne se comportent pas de la même façon, et en plus de cela, les moutons présents dans le troupeau étaient de plusieurs races différentes, ce qui complique encore les choses. C’était la première fois que je me retrouvais avec un troupeau qui n’avait strictement peur de rien, et qui ne bougeait pas d’un poil quand il avait décidé que ce n’était pas le moment. Et finalement, c’est mon vieil Indiana, mon premier Border qui, à mes yeux, n’était pourtant pas un « bon chien de berger », qui m’a sauvé la mise sur cette estive.
Toujours en mouvement, presque pas d’œil (ce qui, normalement, est la grande caractéristique du Border Collie), ayant du mal à travailler à distance du troupeau, Indy, avec son manque de finesse dans le travail, s’est avéré LE chien parfait pour cette mission. Alors que, quand je travaillais en écopâturage, sur des tout petits lots de moutons parfois très fuyants, il s’excitait beaucoup, perdait vite le contrôle, et ne s’avérait finalement pas très efficace.
La volonté de gérer le mouvement, de tenir rassemblé, la capacité à prendre des initiatives tout en conservant une certaine souplesse de caractère afin d’écouter les consignes du conducteur, l’impact, de l’œil ou pas d’œil, finalement, on entend bon nombre de généralités sur ce que devrait être un bon chien de troupeau. Mais comment peut-on être aussi péremptoire, quand on sait qu’il existe une multitude de races encore capables de travailler sur du bétail, de notre petit Berger des Pyrénées jusqu’au plus confidentiel Huntaway de Nouvelle-Zélande, et surtout, que ces chiens ont tous leurs caractéristiques individuelles, qu’ils ne travaillent pas tous sur les mêmes espèces, ni avec le même conducteur, ni enfin dans le même environnement ?
Plus j’en apprends sur le comportement des chiens au troupeau, et plus je constate que la seule généralité que l’on peut tirer sur le sujet, c’est qu’un bon chien de berger, c’est avant tout celui qui est capable d’effectuer avec efficacité son travail de tous les jours. Avec du style, pas de style, de l’œil ou non, à distance ou au contact, si le bétail est respecté et respecte le chien, alors notre chien de berger est BON pour ce qu’on lui demande. Un bon chien de berger, c’est avant tout un chien qui fait le job !
Elsa Weiss / Cynopolis
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