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Photo du rédacteurCynopolis Elsa Weiss

Dans la tête d’un chien réactif

Si j'étais un chien, je serais à coup sûr un chien réactif. Je serais de ces chiens qui se jettent en bout de laisse, et qui aboient les pires insanités à qui s'approche un peu trop près d'eux. Je serais de ceux qui tolèrent à peu près n'importe quoi de la part des membres de leur foyer (sauf manger en faisant du bruit, faut quand même pas exagérer !) mais qui ne peuvent pas encadrer les personnes étrangères à leur petit cercle rassurant de visages connus. Je serais de ceux qu'on peut tout de même parvenir à apprivoiser, avec du temps, de la volonté, et si l'on ne se montre pas trop intrusif.


Je vous rassure, je n'ai pas l'intention de vous exposer ma vie dans ce texte. J'aurais un ego de la taille d'un terrain d'éducation canine si je commençais à me mettre en scène dans mes propres écrits. Le fait est que, cet après-midi, j'ai rencontré une petite chienne réactive comme il en existe parmi tant d'autres. Et j'ai eu envie de faire un profond travail d'empathie vis à vis de cette chienne, au sens propre, c'est à dire que j'ai tenté de me glisser dans sa peau (au sens figuré, cette fois, sinon il s'agirait de maltraitance animale) et de comprendre pourquoi elle était aussi peu à l'aise en présence d'inconnus. Et je me suis rendu compte que l'exercice était assez facile, parce qu'en réalité, je suis exactement comme elle. Et je suis sûre que je ne suis pas la seule à être dans ce cas.


Beaucoup de chiens sont sociables, savent bien communiquer, aiment cela, même. Ils sont plutôt extravertis, ils aiment aller vers les autres. Faire de nouvelles rencontres les ressource. Ils aiment échanger sur des sujets légers, renifler le sol ensemble, mâcher quelques brins d'herbe, se disputer un bâton. La plupart des humains aiment les mêmes choses : partager des activités ensemble, échanger sur leur journée de travail, commenter une bonne série avec des amis.

Et puis, il y a ces chiens pas comme les autres, ceux dont on entend souvent qu'ils sont « mal éduqués » parce qu'ils envoient paître un congénère de passage qui voulait leur renifler le derrière. Ces chiens marginalisent leur propriétaire, lui interdisent tout possibilité d'activité canine en groupe, attirent les regards hostiles de tous ceux qui ont un « gentil » chien, vous savez, celui qui remue la queue joyeusement dès qu'il aperçoit la moindre silhouette vaguement canine à l'horizon.


Eh bien, il y a des humains comme ça, aussi. Ceux qui ont du mal à aller vers les autres, et qui, même, les évitent, parce qu'ils ne sont jamais sûrs de distinguer les intentions de la personne qui vient à leur rencontre. Ceux qui préfèrent se montrer « ours » pour que personne ne les approche, et qui dégoupillent au moindre regard de travers. Ceux qui ne se sentent pleinement rassurés qu'avec des visages connus, dans leur petit monde. Je suis de ceux-là, et peut-être que vous aussi.


Nous ne sommes pas des personnes détestables. Nous manquons juste d'aptitudes sociales. Peut-être est-ce lié à un trait de caractère génétique, ou peut-être est-ce l'environnement qui nous a rendus méfiants. Mais les faits sont là : nous sommes toujours dans l'appréhension lorsque nous rencontrons de nouvelles personnes, et un contact forcé peut nous rendre agressifs. Nous souffrons de phobie sociale, et vous pouvez être quasi certain que si votre chien est réactif, c'est parce qu'il en souffre lui aussi. Il est possible d'aider ces chiens et ces humains particuliers à aller mieux : privilégier la qualité à la quantité en termes de contacts sociaux, ne jamais forcer au contact, respecter la zone de confort de l'individu, ménager des temps de repos nécessaires sans contacts sociaux en dehors de ceux des membres du foyer. Il est passionnant de constater à quel point les méthodes visant à accompagner les humains comme les chiens en difficulté sociale sont comparables.


S'il y a une chose à retenir, c'est qu'on ne change pas la nature profonde d'un être peu social. Oui, il est incontestable que nous avons besoin des autres pour trouver notre équilibre, et il en va de même pour nos chiens. Je suis ravie de partager des activités canines avec vous, d'autant plus que nous partageons un intérêt commun ! Mais je peux aussi passer deux mois sans voir personne d'autre que mon cercle familial sans en souffrir. Pour votre chien réactif, c'est un peu pareil : il peut aimer s'amuser avec ses copains d'enfance, mais ne pas du tout tolérer les autres chiens. Avec un travail de fond, de la patience et de la méthode, vous pourrez l'aider à aller mieux. Vous pourrez réussir à atténuer ses craintes, à en faire un chien mieux dans ses pattes. Mais il ne sera jamais le gentil toutou de votre voisine qui est naturellement doué pour se lier d'amitié avec tous les chiens qu'il croise. Vous ne ferez pas d'un chien réactif, un chien à toute épreuve.


Il n'y a pas de bon et de mauvais chien. Il y a des chiens plus adaptés au monde que les autres. Commencer par accepter cette diversité, et ne pas chercher à tout prix à la changer, c'est la meilleure façon d'aider votre compagnon à trouver son chemin dans ce monde qui lui échappe. L'aimer pour ce qu'il est, et non pas pour ce que vous aimeriez qu'il soit, c'est le plus grand service que vous pourrez lui rendre.


Elsa Weiss / Cynopolis

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